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Orphée est mort ; J'ai fermé sa porte.

La valse des saisons : Chapitre deux.

  En marchant vers l'ouest de la forêt à une centaines de mètres, se trouvait emprisonné dans une cage végétale et encerclé par les arbres, une bâtisse peinte d'un blanc criard qui étincelait dans l'ensemble vert, comme un peintre qui se serait trompé de couleur pour peindre ce décor étonnant.

  La nuit tombait lorsque les deux nouveaux compagnons se prélassaient dans le court salon brun très triste en cette fin de journée, à cause de l'effet délavé qu'apportait la lumière des lampions vieillis accrochés sur la terrasse. L'homme des bois était assis sur une chaise prête à s’éclater sur le sol, et l'enfant était affalé sur la table. Les trois chiens dormaient ensemble, pour mieux se réchauffer, bien qu'Hiver gardait les yeux ouverts, tranquillement sur l'enfant en le considérant tel un Dieu qui l'avait soumis et dont il devait obéissance. Les deux autres chiens, débonnaires ronflaient bruyamment. On eut dit une vieille mécanique rouillé.

  L'homme épluchait sans intérêt aucun des patates fraîches du matin, cette activité semblait être un simple «amuse-main». Il observa le «p'tit bout» comme il l'appelait, avec ses yeux cristallisés et son sourire en coin. L'enfant ne le regardait pas, il observait Hiver. Il tripotait son béret et épiait le chien comme une drôle de chose.

  Puis, l'homme gris interrompit le silence avec un choc verbal qui s'apparentait au choc du marteau sur l'enclume :

«-Tu sais, tu n'es pas le premier à fuguer par ici.

L'enfant ne réagissait pas, mais montrait par une moue qu'il écoutait.

-J'en ai vu des gosses venir ici et dire qu'il quittait leurs parents pour une nouvelle vie.

L'homme observait l'enfant dans l'attente d'une réaction. Qui ne vint pas.

-Mais quelle nouvelle vie ? Vous croyez que c'est formidable de vivre dans la forêt ? Coupé du monde ?

L'enfant ouvrit un peu plus les yeux.

-Bha ! Ça ne t’intéresse pas mes histoires. T'as sans doute voulu jouer...»

  Découvrant que le môme était ailleurs, l'homme laissa sa place de maître au silence en prenant entièrement part à l’épluchage de la patate.

  Le règne ne fut que de courte durée car l'enfant en fixant les deux autres coussins de fourrure vrombissante, demanda :

«-Quels sont les noms de ces deux chiens ?

-Eux ? Printemps et Automne dit l'homme ravi d'entreprendre une conversation.»

  Printemps était plus massif qu'Automne qui était long et mince, mais restait plus petit qu'Hiver. Printemps ressemblait à un Colley dont le brun clair rappelait la jeunesse et la renaissance des choses et la cendre du phénix. Étonnamment pour Colley, Printemps avait les oreilles droites et hautes, mais une truffe bien longue, elle aussi. Il sembla empli de vie et possédait la même vivacité dans les yeux que l'enfant. Automne, quant à lui, était bien maigre et fragile, comme une statue qui tend à s'écrouler. Sur ces pattes, il tremblait un peu, et semblait pouvoir tomber à tout moment, il avait l’œil triste et bas, le poil long et tombant. C'était en fait un Schnauzer bien plus haut que la normale, avec un poil noir qui virait au même marron que les chaussures de l'enfant, un marron cruel qui rappelle la dureté de la vie.

  L'enfant, tournant la tête, aperçu dans un coin bien caché de la pièce, quatre gamelles de cuivres propres bien rangés. Elles étaient posés, intentionnellement, sur un beau tapis de soie rouge flamboyant qui s'apparentait au sang vif qui vient de jaillir de l'ennemi. Le mioche demanda en reposant son béret sur la table :

«-Pourquoi y a-t-il quatre gamelles pour trois chiens ?

-C'est pour Été, mon quatrième chien qui est parti récemment. Mais il reviendra bientôt, dans quelques mois, dit l'homme en posant l’éplucheur sur la table.

-Vous laissez partir vos chiens ? Vous ne les aimez pas ? Maman dit toujours que ceux qui n'aiment pas les bêtes et les abandonnent ne sont pas des hommes, répondit l'enfant, accusateur.

-Non, non ! Ce n'est pas ça ! Été est parti par sa propre volonté, dit simplement l'homme en considérant l'enfant.

-Comment pouvez vous être sûr qu'il reviendra ? demanda toujours en fronçant ses sourcils, l'enfant.

-C'est toujours le même phénomène chaque année, dit l'homme.»

Cela mit fin au conciliabule d'une traite.

  Le vieux se leva et se dirigea tremblant légèrement, comme si il effectuait une petite promenade de vieillard, vers le tiroir où il avait pris l'éplucheur pour l'y reposer, il se pencha en tremblant encore plus et caressa les chiens. Il avait une démarche de retraité qui interférait dans la tête de l'enfant avec sa vision de l'homme au fusil.

«Vous avez quel âge ?» demanda, hagard, l'enfant. L'homme assis à coté de ses bêtes, tel un berger protecteur dont l’œil était mauvais et au sourire effacé. Il dit sèchement :

«-Ce ne sont pas des choses qu'on demande.

-Si. Vous sembliez bien plus jeune lorsque je jouais avec Hiver et que vous m'aviez dit de plus le faire, dit l'enfant.

-Ce n'est qu'une impression. Si ça t’intéresse, sache que j'ai un peu d'arthrite. Me lever est d'une atroce douleur. Mais lorsque je suis debout, je peux rester droit. dit l'homme en se relevant tout aussi piteusement qu'un bossu qui remercie les passants généreux.

-Et puis...» L'homme cherchait ses mots.

«-Si mes chiens venaient à mourir, je mourrais aussi. Je ferais tout pour eux. Le matin, avec toutes les douleurs de l'âge qui m'hurle de mourir au plus vite, mes chiens sont ma dernière raison de continuer. dit l'homme qui pourtant semblait plus jeune qu'il ne semblait vouloir le dire.

-Oh. dit l'enfant comme pour ne pas laisser l'homme seul.

-Mais, ça va, ça va ! en disant cela, l'homme reprit de sa superbe et redevint le quadragénaire finissant qu'il était.»

  L'homme se tut au milieu de la pièce où le silence reprenait plaisir à se faufiler, vit les chiens empilés, partant ensemble vers la clé des songes, et brisa dans les genoux le silence si bien installés :

«Allons dormir. Demain, tu retournes là d'où tu viens.»

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