« Je meurs et ne sais pas ce que c'est de naître. »
L'immortalité, Alphonse de Lamartine
Il a écrit des sonnets ; il a cru être Pétrarque
Il n'était qu'un patraque marchand de patates
Dispensant à qui mieux mieux des recueils encor chauds d'orgueil
Son cœur, oh oui il le brade pour un sourire (la valeur ultime!)
Il était coupable et déjà puni d'être soi-même pour toujours lorsque sa mère lui enleva à son dixième anniversaire, le sommeil !
Il a écrit des sornettes ; il a cru qu'être poète
C'était pleurer pour des prunes, se brûler les yeux en fixant la Lune
C'était pareil à l'astronomie, mais avec un lance-comète pour chambouler l'espace-temps
Mais il n'était au fond qu'un éternel débutant.
Vivant à moitié dans un songe, souvent il s'éclipsait de ses soucis
Plongeant son corps nu dans la mer des astres,
Il voulait rencontrer le ver qui le ronge depuis des lustres.
Il a sifflé des nénettes ; il a cru être amoureux
Le débutant sans nul allié marche sur ses pieds sourds
Entonne une guinguette de Montmartre (il ne connaît que celle-là)
Il ne sait que monter les froids escaliers
Et les courtisans guettèrent ses jours.
Quand on ne le cita plus dans les préfaces et les gazettes
Le poète déferla la violence publique à bicyclette
Dans les barricades improvisées, il dit Je à longueur de fusillade
A un gendarme ennuyé, il fit croire qu'il était un dragon
Puis, il en eut marre, son cœur se délassa de son amant de naissance
Comme Ève croqua la pomme pour quitter Adam et Éden
Son cœur en eut marre d'être Je, quelle tuile !
Son cœur ne croyait plus en lui, et peu à peu ralentit
Marre d'être le dernier de la troupe
Marre d'être l'accoudoir de ses boissons
Marre d'être le couteau à pain de ses états d'âme
Marre d'être la cocotte-minute de son rythme inégal
Jusqu'à ce que fume le génie lyrique et le désir panique.
Le pauvre poète lâcha le guidon,
Il devint pâle comme le carrelage
Plus aucun rayon ne l'atteignait
Errant dans les rues (ça lui donne l'air Hoffmann)
La main sur le thorax, lacérant lascivement son sein
Il appelait au diacre, au cardiologue, à n'importe quel sauveur
Les orbites tournés vers l'intérieur, il ne trouva pas d'âme
Était-ce donc le dernier voyage, pensa le poète ?
Ma vie est-elle si vite abolie ?
Je n'ai même pas rédigé mes Mémoires en seize volumes !
Le monde disparaîtra de lui sans avoir connu sa vie et sa vieillesse...
Les jeunes femmes, assises à une table dans le parc, l'aperçurent
Penché sur son minuteur tremblant de peur devant le néant qui se déploie
Il n'y avait soudainement plus de grand Mystère, plus de Dieu de signalisation
Seulement la large mer du destin sur laquelle il se jetait, à contre-coeur, une planche sous le ventre
Oh combien il ne voulait pas quitter la côte et ses souvenirs
Oh combien il s'était terriblement trompé sur sa vie
Il écoutait le plus faible battement qui annoncerait la cuisson
Elles pensèrent alors qu'il avait le cœur brisé
Mais, oh non, son cœur n'était loin de là, que las de mentir, il voulait alors partir
Surtout foutre la frousse au cruel poète aux yeux alarmés par la mort qui vient sur les chapeaux de roue
Ô la Mort qu'il a tant chanté, il ne la connaît pas si bien... !
Arrivé flageolant et veule, au pied de l'hôpital, il s'écroula d'un coup
Sa montre indiquait huit heures et son visage grimaçait comme un diable
Une semaine plus tard, on retrouva son cœur ronronnant dans la bibliothèque municipale.